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Un autre regard sur le rail
28 juin 2019

C’est quoi la concurrence ?

Nombreux sont les Françaises et les Français qui ont hâte de voir la SNCF concurrencée. Nous en avons parlé il y’a quelques temps, la concurrence est souhaitée à toutes les sauces, au moindre prétexte. L’exemple le plus drôle fut celui qu’un ASCT de Paris Austerlitz nous a rapporté. Un passager manquant de papier toilettes dans les WC d’un train intercités a souhaité la concurrence. Et ne parlons même pas de la privatisation ! Un désir, un rêve, un fantasme pour certaines personnes formatées à l’ultra libéralisme aveuglées par la rancœur, rêvant toutes les nuits de voir les cheminots se faire éjecter, et on ne passe des meilleurs. Bon, commençons par dire un mot sur la privatisation. La SNCF s’y prépare depuis des années. Disons plutôt que les gouvernements et les directions successives s’emploient à casser la SNCF, et ce dessin l’illustre totalement.

LA SNCF EST CASSEE

 

Ces fossoyeurs ont détruit une SNCF qui fonctionnait très bien pour engendrer des réactions haineuses au travers des médias. Leur but est de faire croire à l’opinion publique que les réformes étaient, et sont, nécessaires pour que le chemin de fer fonctionne à nouveau parfaitement. Certains s’imaginent que la privatisation et la concurrence sont les seuls remèdes à leurs tribulations vécues au quotidien, ou presque. Baisse des prix, fin des retards, bouteilles d’eau systématiquement distribuées, personnel prêt à leur cirer les chaussures… Du pur fantasme ! En même temps, la SNCF se prépare à la privatisation (passage en SA au 1 janvier 2020) et à l’arrivée de la concurrence depuis longtemps. Et la situation s’aggrave depuis autant de temps. La séparation des activités, on l’a déjà dit plusieurs fois, est une horreur. La création de trois EPIC en 2014 est un cataclysme. La SNCF fonctionne de plus en plus comme une entreprise privée, avec de grosses coupes dans les effectifs, une spécialisation par activités, une polyvalence qui n’a aucun sens contrairement à ce qu’elle était il y’a quelques années encore.

La politique de la rentabilité conduit la SNCF dans le mur. Prenons l’exemple de la baisse des effectifs. Moins de personnel, c’est moins d’agents en réserve à la conduite, moins d’agents pour entretenir le réseau, moins d’agents pour informer, rassurer, accompagner les voyageurs… Les usagers subissent quotidiennement les effets négatifs de cette politique, et ils ne sont pas au bout de leurs peines ! Le chemin de fer est composé de beaucoup de rouages. Il est compliqué à faire fonctionner. L’ouverture à la concurrence du transport de marchandises et la séparation des activités ont été des coups durs pour le bon fonctionnement du réseau.

Revenons en à la concurrence. Les médias en ont parlé il y’a une dizaine de jours avec le positionnement de Flixtrain et de Thello pour concurrencer la SNCF en offrant la possibilité aux voyageurs d’effectuer des trajets intérieurs à la France avec leurs compagnies. Il existe deux formes de concurrence.

La première, c’est l’ouverture à la concurrence sur les TER. Les TER, qui changent progressivement de nom (exemple : REMI en région Centre Val de Loire, Fluo en région Grand-Est, BreizhGo pour la Bretagne…) appartiennent totalement aux régions. Les régions en sont les autorités organisatrices (AO) Elles confient un cahier des charges à la SNCF, négocient les conventions, finance l’achat des rames et le fonctionnement général du réseau TER. Depuis 2017, elles fixent librement leur tarification régionale, ce qui engendre de mauvaises surprises pour les usagers. En effet, par endroits, les prix des abonnements ont bien augmenté. Pour simplifier, la SNCF ne fait que de conduire les trains et de les entretenir.

Le réseau ferré, lui, appartient au GID (Gestionnaire d’Infrastructure Délégué) SNCF Réseau, exception faite de quelques lignes régionales (en Corse, Nice – Digne les Bains…) et des LGV Bretagne (Effia) et Sud Europe Atlantique (Vinci) SNCF Réseau en restera propriétaire même si en région Grand Est les politique veulent carrément privatiser de petites lignes (Nancy – Merrey) La ligne du Mont Blanc Express et les lignes de l’Ouest Lyonnais sont également susceptibles d’être confiées à du 100% privé, disons que leur configuration le permet car elles sont « enclavées »

Revenons en à la concurrence sur le réseau TER. Outre quelques exceptions, les trains continueront d’emprunter les mêmes voies que tous les autres trains. Les trains de plusieurs compagnies cohabiteront sur les mêmes tronçons. Ils emprunteront les mêmes voies, seront alimentés par les mêmes caténaires, seront régulés par les mêmes signaux… Et seront donc soumis aux mêmes aléas. Et, cerise sur la gâteau, la concurrence à proprement parler sur le réseau TER n’offrira jamais à un voyageur la possibilité de choisir entre deux ou trois opérateurs ferroviaires pour son trajet. Les régions feront des appels d’offre par lots. Ces lots seront composés de lignes. Prenons un exemple sur la région PACA. On peut s’attendre à voir venir un appel d’offres pour une ligne transfrontalière Nice / Italie. Un autre pour les lignes Grasse / Vintimille et Les Arcs / Vintimille. Un autre pour la ligne Nice / Breil / Tende. Un autre pour la ligne Nice / Marseille. Un autre pour la ligne Les Arcs / Toulon / Marseille (et Hyères / Marseille). Un autre pour la ligne Marseille / Aix, et peut être un autre pour la ligne Marseille / Briançon. Etc… En réalité il est peu probable qu’il y’ait autant d’opérateurs que de lots, peut être qu’ils seront deux à se partager le marché, dont la SNCF, sans doute via une filiale telle que Kéolis. Les horaires resteront les mêmes. Le personnel, les rames seront les mêmes puisque tout sera transféré au nouvel opérateur. Les voies, on l’a dit, seront les mêmes et, en région PACA, pour reprendre cet exemple, les trains TER cohabiteront toujours avec les Thello Milan / Nice / Marseille, les TGV Nice / Paris et Nice / Lyon / Dijon… En définitive, seul le logo changera. Et le prix aussi. Et oui, les entreprises privées doivent nourrir leurs actionnaires. La SNCF n’en a pas. Les entreprises privées seront également là pour se faire de l’argent, comme la SNCF le fait depuis une quinzaine d’années. Il y’aura donc une répercussion sur le prix des billets et des abonnements. Logique ! La qualité de service sera à peu près la même qu’à la SNCF actuellement. Ne vous attendez pas à voir une entreprise privée réembaucher du monde pour faire tourner correctement le réseau !

Venons en à présent aux intercités. Notons tout d’abord que ceux-ci sont progressivement transférés vers les régions et deviennent des TER. Cela a récemment été le cas des trains Paris – Tours, Paris – Bourges et Paris – Amiens – Boulogne. Les trains Aubrac et Cévenol sont en sursis, l’Etat veut les refiler aux régions qui veulent s’en débarrasser. Les intercités Normandie sont pilotés par la région Normandie. Il reste quelques lignes nationales à proprement parler. Lyon / Tours / Nantes, Nantes / La Rochelle / Bordeaux, Bordeaux / Montpellier / Marseille, Paris / Clermont Ferrand, Paris / Limoges / Toulouse. Ainsi que des intercités de nuit sur Paris / Briançon, Paris / Toulouse / Cerbère et Paris / Rodez. Pour ces lignes il existera deux options. L’Etat entend mener un appel d’offre sur les lignes Lyon / Tours / Nantes et Nantes / Bordeaux. Même principe que pour les TER ; les rames et le personnel seront transférés. Les trains emprunteront les voies de SNCF Réseau. Seul le logo changera, et les prix augmenteront.

L’Allemand Flixtrain a récemment annoncé, via l’ARAFER, vouloir concurrencer la SNCF sur intercités mais en créant, ou recréant, des relations. Paris Nord / Bruxelles, Paris Bercy / Lyon, Paris Bercy / Toulouse et Nice et Paris / Bordeaux. Il se peut qu’à terme il existe des trains intercités appartenant à l’Etat et géré par des entreprises privées ainsi que des trains appartenant totalement à une entreprise privée. La, les voyageurs pourront avoir le choix mais devront faire de gros sacrifices sur le confort et les services si ils veulent voyager pour pas cher.

Autre forme de concurrence, celle sur les TGV. Il s’agira là d’Open Access pur et dur. Plusieurs compagnies pourront proposer leurs trains sur une même relation. Mais attention ! Les voyageurs en pâtiront. Explications. Pour faire circuler un train il faut… une rame. Un conducteur. Un ou des agents d’accompagnement chargés d’exécuter des missions de sécurité. Mais avant tout, il faut un sillon. Un sillon, la capacité d’infrastructure requise pour faire circuler un train sur un trajet donné, à un horaire donné. Un train emprunte un itinéraire, un trajet. Il passe par plusieurs secteurs circulation, il franchit des aiguillages, il bifurque, emprunte des tronçons communs. Un exemple : un TGV Paris / Grenoble emprunte d’abord un tronçon commun avec les RER jusqu’au Vert de Maisons ou Combs la Ville. Quelques kilomètres plus tard, si il bifurque au Vert de Maisons, il rencontrera des trains en provenance de l’Ouest (Bordeaux, Nantes, Rennes) et à destination de Lille ou Strasbourg. Plus au sud, il cohabitera encore avec les TGV Nantes ou Rennes / Lyon ou Marseille ou Montpellier, avec les TGV Lille / Marseille ou Montpellier… Il sera également sur le même trajet que les TGV Paris / Lyon, Paris / Marseille, Paris / Montpellier, etc… Puis il sortira de la ligne à grande vitesse à St Quentin Fallavier et arrivera directement sur la ligne TER Lyon / Grenoble où cohabiteront aussi des TER Lyon / St André le Gaz et Lyon / Chambéry. 

Notre TGV Paris / Grenoble devra donc se faire une place dans ce trafic, son sillon est calculé de A à Z, tout est pensé, étudié par des graphiques, par des logiciels utilisés par les horairistes de SNCF Réseau qui se chargent d’appliquer l’attribution des sillons. Il ne peut y avoir deux ou trois TGV Paris / Grenoble qui partent en même temps. Idem pour les TGV Paris / Lyon, Paris Marseille …. Paris / Bordeaux, Paris / Rennes … Paris / Strasbourg… Et SNCF Réseau devra attribuer les sillons équitablement, l’ARAFER y veillera. Il est peu probable que des entreprises privées se positionnent sur Paris / Grenoble, nous allons donc prendre un autre exemple et aller du côté du réseau Atlantique. De la gare Montparnasse partent et arrivent les TGV terminus ou origine Rennes, Quimper, Brest, St Malo, Nantes, Le Croisic, Les Sables d’Olonne, Tours, La Rochelle, Bordeaux, Arcachon, Toulouse, Tarbes et Hendaye. En espérant ne pas en oublier. En sus, ces TGV rencontreront, sur leur chemin, des TGV allant de l’Ouest vers l’Est et vice / versa. Admettons que trois opérateurs viennent concurrencer TGV INOUI et OUIGO (ndlr : probablement filialisés dans les années à venir sur Paris / Bordeaux et Paris / Rennes. Aujourd’hui, la SNCF propose une vingtaine de TGV pour aller de Paris à Bordeaux, dont certains vont à Arcachon, Hendaye, Tarbes et Toulouse, et idem pour aller de Paris à Rennes, certains vont jusqu’à Brest, Quimper ou St Malo. Si trois opérateurs veulent concurrencer la SNCF, il va falloir partager les sillons. Si l’opérateur Truc veut 4 TGV sur Paris / Bordeaux et sur Paris / Rennes, si l’opérateur Machin en veut 6 sur Paris / Rennes et 8 sur Paris / Bordeaux et l’opérateur Bidule en veut 5 sur Paris / Bordeaux et 3 sur Paris / Rennes, il va falloir tailler dans les sillons attribués à TGV INOUI. Et il va falloir s’attendre à ce que tout ce petit monde souhaite faire partir ses TGV le matin entre 6h et 8h et le soir entre 16h et 18h ! Ca risque de se bousculer au portillons. Comme nous l’avons dit, il sera impossible de faire partir 4 TGV en même temps pour la même direction. Ni même d’en faire partir 1 pour Bordeaux, 1 pour Rennes, 1 pour Nantes et 1 pour La Rochelle à la même heure.

La conséquence sera une réduction très nette de l’offre par opérateurs. Il se peut, admettons, que sur certaines relations TGV INOUI fasse circuler 30 à 50% de TGV en moins et que les opérateurs privés se partagent donc 30 à 50% des sillons. Actuellement en heure de pointe il y’a deux à trois TGV par heure pour Paris <-> Lyon, ce qui offre une flexibilité énorme pour les voyageurs abonnés ou titulaires d’une carte de réduction SNCF. Avec la concurrence, fini les deux à trois TGV SNCF par heure en pointe ! Et les autres opérateurs n’en proposeront pas autant. On peut s’attendre à voir plus qu’un TGV toutes les 1h30 à 2h par opérateur en journée, et peut être 1 par heure et par opérateur en pointe. Mais le réseau risque de se retrouver saturé, et bonjour les conséquences en cas d’incident.

Les incidents, parlons-en ! A en lire certains, les trains de la concurrence qui, on le rappelle, emprunteront les mêmes rails, circuleront sur un petit nuage, ne tomberont jamais en panne, ne connaitront jamais les conséquences d’un incident caténaire, ou d’un signal d’alarme tiré en sortie de gare en heure de pointe (ndlr : ça peut engendrer des retards énormes)… C’est faux ! Ils n’en seront pas exempts. Actuellement, les voyageurs bénéficient d’une prise en charge encore relativement correcte, sont replacés dans le TGV suivant, ou bénéficient de titres de rupture de correspondance… Moins de TGV par opérateurs c’est moins de chance d’être pris en charge rapidement ! Et oui, actuellement c’est à peine si TGV INOUI prend en charge les passagers des OUIGO supprimés… et vice versa… Alors ne pensez pas que l’opérateur Truc prendra en charge les passagers de l’opérateur Machin. A moins qu’il existe des accords… mais on en doute. Œil pour œil, dent pour dent, telle est la loi du privé. Quid des prises en charge TER vs TGV et vice versa ? Si le TER opéré par Train Train est en retard et que le voyageur rate son TGV opéré par Bidule, il devra tout simplement se débrouiller. 

Les grands perdants de la concurrence seront les voyageurs. Ils vont perdre en flexibilité. Et comme les entreprises devront être rentables, ils devront mettre la main à la poche. Les billets à 10€, 20€ ou 30€ seront peu nombreux. Et, si on en croit les partisans de la concurrence, ceux-ci sont nombreux. Les places seront donc rares et chères.

La SNCF est prête, elle a adapté son offre depuis longtemps en séparant ses activités (Transilien, TER, Intercités, TGV), en créant un modèle de TGV low Cost (OUIGO) et un modèle de TGV plus haut en gamme (INOUI) ; elle a aussi récemment remanié sa gamme tarifaire et propose une nouvelle classe de service. Elle s’est déjà alignée sur la concurrence. Avant même son arrivée.

 

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