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Un autre regard sur le rail
27 juin 2019

Témoignage de Marine qui a subi cinq restructurations en dix ans.

Marine est entrée à la SNCF en 2008. Pour cette petite fille d’ancien conducteur de locomotive à vapeur, c’était une fierté. Diplômée d’un bac L et forte d’une expérience de deux ans dans le domaine de la vente, elle est entrée en tant qu’agent commerciale en gare au statut. Depuis 2008, Marine a connu cinq restructurations. Elle nous a contacté pour la première fois en 2017 et était alors en arrêt pour une dépression qu’elle estime liée à ses conditions de travail et à une énième suppression de poste. Thomas et Ben l’ont rencontrée fin mai pour recueillir son témoignage.

Marine a été formée pour être à la fois agent d’escale et à la fois vendeuse. « J’ai bénéficié d’un cycle de formation complet », nous dit-elle. « J’ai été l’une des dernières recrues à bénéficier d’un tel cycle de 6 et 2 semaines avec des formateurs aguerris » Pour elle, tout commençait à merveille. Marine était en capacité de répondre aux besoins des usagers et de leur proposer les meilleurs solutions existantes. « J’étais très efficace, à cette époque on venait de passer à la gamme NOTES. J’ai été formée dessus » Cette gamme correspond réellement au début du Yield Management à la SNCF, c’est-à-dire à la libéralisation de la tarification sur les TGV et intercités à réservation obligatoire. Autrement dit, les prix augmentent, jusqu’à un certain plafond, en fonction du taux de remplissage. « Je suis arrivée au milieu de ce chamboulement pour nos clients (sic) Il fallait leur apprendre ce nouveau système de tarification »

Marine était affectée à la réserve et tournait sur une zone diffuse (groupement de gares autour d’une grande ville) du Sud, soit  15 gares. « 
Je faisais de la vente et un peu d’escale, cela me diversifiait, la polyvalence je n’ai rien contre le temps qu’elle reste raisonnable. En plus j’ai été formée pour les deux ! Je n’y voyais aucun inconvénient » (…) « J’ai travaillé dans une gare où, en 2008 nous étions 3 vendeurs en journée. Mais elle était ouverte de 5h à 21h tous les jours. 10 ans plus tard, cette gare est ouverte uniquement du lundi au samedi en journée avec un seul vendeur. En 2012 c’est un poste qui y a été supprimé, on y faisait systématiquement les matinées ou les soirées, il n’y avait plus de poste supplémentaire en journée. Et en 2017, le guichet est passé en horaires de journée. Une claque phénoménale ! La direction disait que les clients (sic) iraient dans les gares voisines. Mais les gares voisines ont aussi vu leurs plages d’ouverture réduites » 

Au total, Marine a vécu cinq restructurations. « J’ai commencé en réserve sur quinze gares. Puis, un poste de réserve a été supprimé. Il fallait qu’un agent en réserve change de poste, ce fut moi car j’avais une opportunité : j’ai alors pris un roulement sur trois gares. C’était plus stable pour moi, je venais d’avoir mon premier enfant, j’avais besoin de connaitre mon utilisation en avance. Un an après, il y’a eu trois suppressions de postes sur mon secteur. J’étais dedans. Je suis retournée en réserve mais sur une grande gare et des boutiques. Mais une boutique a fermé. En même temps, un poste en roulement dans deux gares a été libéré, je l’ai pris grâce à l’aide de mon DPX de l’époque. Deux mois plus tard, j’apprenais, par un élu local, que les horaires allaient être modifiées. J’en ai parlé à mon DPX qui n’était pas au courant, il s’est renseigné et le DUO est venu vers moi en me disant oui madame, on a oublié de vous prévenir mais votre poste sera supprimé dans cinq mois ! Je suis tombée des nues. Oublié de me prévenir ? J’étais la première concernée » (…) « En même temps la politique de la boite a changé. J’ai vu venir les challenges, les concours d’équipes de vendeurs sur la région, fallait faire du chiffre avant tout mais parallèlement, on nous supprimait nos moyens de travail et on nous dégradait nos conditions de travail ! Comment être motivé quand on voit un tel massacre ? »

C’était en 2017. Suite à cette annonce, Marine fait une dépression qu’elle met sur le compte de ses conditions de travail. « J’étais lassée, épuisée, je n’avais plus de motivation. On nous a supprimé des postes, fermé des gares en nous disant que le comportement d’achat des clients (sic) changeait, et qu’ils vont à présent sur Internet. Mais c’est faux. Plus les guichets ont fermé, plus l’attente, même dans les moyennes et petites gares, a augmenté. Et nous avions de plus en plus de cas d’après-vente Internet. Des clients (sic) venaient après avoir fait une erreur sur le site VSC (ndlr : devenu OUI SNCF) » L’allongement du temps d’attente pour passer aux guichets engendre des tensions. « Les gens s’énervent car ils attendent longtemps. Et le pire c’est quand, une fois au guichet, on leur dit qu’on ne peut rien faire pour eux ! Je comprends leur colère ! » Car en effet, d’années en années, la direction a supprimé des missions aux vendeurs en gare pour les transférer sur Internet. C’est le cas, entres autres, des réclamations, des demandes d’après-vente spécifiques et, depuis peu, du service Junior et Compagnie.

Après trois mois d’arrêt de travail, Marine est convoquée à son établissement pour un entretien exploratoire. Il lui est ensuite proposé un poste dans une gare à 50 kms de chez elle. « Je ne savais que faire ! Mais j’ai accepté, c’était soit ça, soit aller dans un bureau je ne sais où. Les horaires d’ouverture de ma gare ont changé quatre mois plus tard. Nous sommes passés en journée. Et la file d’attente a augmenté. Les conditions de travail se sont nettement dégradées, surtout qu’on nous a clairement mis des missions escale en plus de nos missions vente, et il fallait faire les deux en même temps en situation perturbée, quand toutefois nous étions là. Du grand n’importe quoi ! » 


Marine se sent de plus en plus mal. Elle n’arrive plus à encaisser l’agressivité des usagers. Les réorganisations constantes, la charge supplémentaire de travail et aussi le cynisme de la direction. « Ils n’arrêtent pas de dire que tout le monde – ou presque – va sur Internet, que les clients (sic) ont les applications, qu’on ne sert plus à rien. Mais c’est faux ! Les commerciaux en gare ont encore une utilité, surtout pour l’info voyageurs. Une fois j’ai été insultée de tous les noms par un client (sic) qui avait acheté un billet TER sur l’application TER et qui souhaitait se le faire rembourser » Chose impossible. « J’ai appelé mon astreinte qui m’a dit que j’ai pas à me sentir visée par les insultes ! J’ai insisté, il est venu me chercher et me faire fermer la gare pour le reste de la journée. On a ouvert un accident du travail, j’ai eu trois jours et j’ai bataillé pour me faire reconnaitre ces trois jours par la CPR »

Lassée, épuisée, démoralisée, Marine décide de prendre le taureau par les cornes et saute sur une opportunité. « J’y suis un peu allée au culot. J’ai vu qu’un poste d’opératrice CPS sur SNCF Réseau était à pouvoir. Mon DPX, heureusement compréhensif, a appuyé ma demande. Trois mois après avoir postulé et après avoir rencontré ma nouvelle direction, j’ai commencé dans cette CPS où, pour le moment, tout se passe bien. L’ambiance est différente, un peu plus détendue. Je fais des horaires de semaine et de bureau, utile quand on a deux enfants. Je m’épanouis un peu plus, et pourvu que ça dure ! »

Marine reste en contact avec ses (anciens) collègues. « Ca devient de pire en pire en gare, et la situation se dégrade presque de mois en mois. Y’a des gares que j’ai connues pleines de vie il y’a dix ans avec vente, escale, chef de service et circulation. Il y’avait du personnel du matin au soir. Maintenant, certaines de ces gares sont déshumanisées, il ne reste plus qu’un agent de circulation, et encore ! Pareillement, dans les plus grandes gares, le départ n’est plus donné, même pas par l’ASCT sur les rames aptes à circuler en EAS. Il y’a aussi d’autres services qui ont disparu. Des agents de manœuvre, des brigades voie ou caténaires… Tout devient triste, morne ! Cette déshumanisation ne rassure pas non plus les usagers. Ils sont livrés à eux même et se sentent abandonnées, ils le disent eux même ! La qualité de service se dégrade. L’information voyageurs circule de moins en moins. J’ai mal à ma SNCF ! J’ai été de toutes les luttes, et je compte bien faire les prochaines »

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