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Un autre regard sur le rail
5 juin 2019

Témoignage d'un cadre: "Les objectifs à tenir étaient plus forts"

Vous n'ignorez pas que le mal être, la souffrance au travail et les suicides sont au cœur de l'actualité socio professionnelle de l'entreprise SNCF. Le management agressif et par la terreur, dénoncé par les OS et relayé par de plus en plus de médias, va de paire.
 
Hier, en marge de la manifestation à Paris, Flavien et Ben ont rencontré un cadre qui nous a contacté il y'a quelques mois pour nous livrer son témoignage. Ils ont déjeuné ensemble avant d'aller manifester. L'occasion pour eux de parler du sujet qui touche particulièrement ce cadre, et vous comprendrez pourquoi.
 
Pour préserver son anonymat, à sa demande, nous ne dirons ni sa région, ni son établissement et ni sa fonction. Ce cadre était, comme il le dit lui même "de l'autre côté" Selon ses propres mots, il fonçait droit dans ses bottes pour "mener à bien la politique de l'entreprise en adoptant des méthodes de management brutales" sans qu'il ne s'en rende compte. "J'étais dans le déni, je ne pouvais pas admettre que je faisais du mal autour de moi. J'agissais en groupe, je me sentais protégé, intouchable, inébranlable. Je ne me rendais compte de rien. Comme si j'étais drogué, vous savez, comme les terroristes qui prennent une drogue avant de passer à l'acte pour se blinder et se donner le sentiment d'accomplir une mission au service du mal" (...) "Il faut sanctionner, manipuler, trouver des méthodes, des stratégies pour pousser individuellement à bout"
 
Il y'a quelques temps, un.e agent de son établissement s'est suicidé.e. Un suicide qui pourrait avoir un lien avec les conditions de travail et le management afférent.
Quelques semaines après ce suicide, ce cadre a totalement craqué. "Je me sens coupable, j'aurais pu faire quelque chose. J'aurais pu écouter la souffrance de cet.te agent et demander au reste de l'encadrement d'être sensible à sa détresse. On a rajouté des problèmes à ses problèmes sans aucune pitié. Les objectifs à tenir étaient plus forts, ils primaient sur l'écoute, l'empathie, et surtout sur l'humain"
 
Aujourd'hui encore, ce cadre reste très ébranlé par ce suicide. Il bénéficie d'un suivi par un psychologue et par un psychiatre "dans le plus grand des secrets car je suis bien placé pour savoir qu'une personne qui a une étiquette psy est mal vue dans l'entreprise" (...) "Je fais des cauchemars presque chaque nuit, des cauchemars dans lesquels des membres de ma famille se suicident à cause de moi. Je me réveille en sursaut avec une angoisse terrible, je suis sous traitement" (...) "Je me sens hanté par cet.te agent, j'ai beaucoup de remords"
 
La médecine du travail et un élu du personnel sont au fait de sa situation. "Aujourd'hui je n'espère qu'une chose: quitter l'entreprise. Je lui ai fait mal, je ne peux plus me regarder dans une glace, je ne peux plus travailler pour être au service d'un management destructeur" (...) "Aujourd'hui (ndlr: hier) je manifeste pour dénoncer cet acharnement managé rial. Il faut que ça cesse. L'ouverture à la concurrence et la privatisation ne sont pas des prétextes pour anéantir des êtres humains, pour les compresser. C'est néfaste pour tout le monde. Pour les agents. Et pour les cadres qui sont comme je l'ai été. Personne n'est inébranlable. Je sais que je ne suis pas le seul cadre à être pris de remords, à être hanté par le suicide d'un agent. Il y'en a qui font bonne figure, qui continuent leur carrière en sifflotant mains dans les poches, en se pavanant dans les couloirs mais je suis sur qu'ils ne peuvent pas se regarder dans une glace et qu'ils ne dorment pas tranquillement. C'est pas possible ! A moins de rester dans le déni, jusqu'au jour ou le psychisme craquera".Et plus la rupture sera lointaine, plus les conséquences seront brutales. 
 
Outre l'aspect moral, il rappelle que "si les enquêtes démontrent que le travail est la principale cause du suicide de cet.te agent, si la famille va jusqu'au bout, jusqu'au pénal, je sais que je risque d'être condamné. J'ai une part de responsabilité. Je ne peux pas la nier, je ne peux pas rester dans le déni. Je dois assumer et je suis prêt à le faire si il faut" (...) "Je ne peux pas me racheter une conduite car l'irréparable s'est produit. Je ne peux pas revenir en arrière mais j'ai changé pour ne pas que ça se reproduise et pour ne pas avoir un second suicide sur la conscience. Je fais de mon mieux pour être au plus près de l'humain

Nous sommes en contact avec d'autres cadres qui ont adopté les mêmes méthodes de management et qui ont craqué sans même avoir de suicide au sein de leurs effectifs. Nous envisageons de publier un ou deux témoignages d'ici à l'arrêt d'ARSLR.

Conformément à notre promesse, nous ne donnerons aucune information supplémentaire ni sur le cadre, ni sur l'identité de l'agent qui s'est suicidé.e 

Si vous ressentez un mal être après avoir lu cet article, contactez le pôle de soutien psychologique de la SNCF 24h/24 et 7j/7. En cas de crise suicidaire ou de raptus, composez le 15. 
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